À Paris, les jeunes contraints de tricher pour se loger

VIDÉO. Fausses déclarations, dossiers bidon… La riposte s'organise face aux exigences de plus en plus extravagantes des agences immobilières et des propriétaires.

Par Louis Chahuneau

Temps de lecture : 5 min

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À Paris, le marché de l'immobilier locatif frôle parfois l'absurdité. Un étudiant avec un bon garant a plus de chances de trouver un logement qu'un jeune actif bien rémunéré. Léa est réalisatrice pour une boîte de production parisienne. Durant l'été 2019, cette journaliste de 23 ans aux cheveux blonds tirés en arrière se met en quête d'un T2 autour de 1 000 euros par mois. Elle gagne en moyenne 2 700 euros net chaque mois et dispose d'un bon garant, mais son statut d'intermittente du spectacle est synonyme d'instabilité pour les agences immobilières.

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Ses collègues lui conseillent alors de se faire passer pour une étudiante. Avec l'aide d'un ami, elle trafique son ancienne attestation de scolarité sur Photoshop. Le jour de la visite, elle obtient le bail face à trente locataires concurrents : « L'agence m'a rappelée le lendemain. J'avais une heure et demie pour donner ma réponse. Le surlendemain, j'ai signé le bail. »

Depuis que les loyers ont explosé à Paris, trouver un logement est synonyme de course de fond. Les profils les moins solvables (intermittents, restaurateurs, professions libérales…) sont les premiers écartés par les agences, sans parler des discriminations raciales. Gérante d'un restaurant, Pauline a mis huit mois à trouver un logement malgré 7 000 euros de revenus cumulés avec son compagnon. « À 30 ans, on nous demandait toujours des garants. Personnellement, je l'ai mal vécu. On gagne bien notre vie, on est indépendants, et pourtant on ne trouve rien, c'est hyperfrustrant », témoigne-t-elle.

Lire aussi Logement : les discriminations raciales prospèrent en Île-de-France

Dans les agences immobilières, on conseille souvent aux bailleurs de souscrire une garantie de loyer impayé (GLI) – dont le tarif évolue entre 2 et 3 % du loyer mensuel – qui impose au locataire de gagner trois fois le montant du loyer. « Sur nos 600 lots, on a 9 logements sur 10 qui souscrivent à une garantie loyer impayé », précise Lola Costa, agente immobilière à Century21 Voltaire. Chez les particuliers, les abus sont fréquents : certains propriétaires demandent quatre fois le loyer mensuel, des garants propriétaires, ou encore deux mois de dépôt de garantie. Un luxe inaccessible pour beaucoup de jeunes actifs.

<span>Une annonce de logement sur Le Bon Coin qui impose des garants propriétaires et refuse la garantie d’État Visale.</span>
 ©  Capture d'écran
Une annonce de logement sur Le Bon Coin qui impose des garants propriétaires et refuse la garantie d’État Visale. © Capture d'écran

« Le marché locatif parisien est dans un cercle vicieux, estime Pierre Madec, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). D'un côté, on observe un renchérissement des petites surfaces lié aux rendements locatifs élevés, mais aussi une pénurie des offres de logements. De l'autre, la demande est très dynamique, mais souffre d'une précarisation grandissante des locataires à cause des transformations du marché du travail. » Sans compter qu'une annonce sur deux ne respecte pas l'encadrement des loyers rétabli en 2019. Quant au parc social, avec en moyenne huit ans de délai d'attente, il ne permet pas de répondre à la demande.

Lire aussi À Paris, une annonce sur deux ne respecte pas l'encadrement des loyers

Résultat des courses : ces dernières années, les fausses déclarations sont devenues monnaie courante dans le marché locatif. Selon un sondage OpinionWay datant de 2019, plus d'un jeune Francilien sur quatre (18-34 ans) a déjà eu recours à cette méthode. Il y a deux ans, Augustin, commercial en CDD, a trafiqué sa fiche de paye pour trouver un logement avec son colocataire. « Je me suis fait une fausse attestation de CDI et j'ai gonflé mon salaire de 29 000 à 35 000 euros. Mais je n'étais pas serein d'avoir fraudé », raconte le jeune homme.

Bien que la pratique soit illégale (le faux et l'usage de faux sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende), certaines entreprises s'en sont fait une spécialité, comme Faussesfichesdepaie.com qui revendique 5 000 clients. « Il est toujours possible de tomber sur une agence tellement paranoïaque qu'elle entreprendra une véritable enquête de police, mais nos clients trouvent généralement le bien dont ils ont besoin avec – en moyenne – 2,4 dépôts de dossier », vante un de ses membres.

Les autorités judiciaires ont d'autres chats à fouetter.

Selon PAP. fr, seuls 54 % des bailleurs vérifient l'authenticité des documents qui leur sont présentés (bulletin de salaire, avis d'imposition, document d'identité…). Si le Code civil prévoit la nullité d'un contrat pour cause de manœuvres dolosives (articles 1130 et 1131), il est compliqué de faire machine arrière en cas d'impayé. « Le bailleur peut saisir un juge pour faire annuler le bail. La difficulté, c'est qu'il doit apporter des preuves de l'existence de la fraude. Or, il se heurte au secret bancaire et à la discrétion des employeurs », explique Me Caroline Laverdet, avocate au barreau de Paris, spécialisée dans le droit immobilier. Ce à quoi notre interlocuteur de Faussesfichesdepaie.com ajoute : « Les autorités judiciaires ont d'autres chats à fouetter qu'instruire une procédure pour un faux dossier locatif. »

Avec le développement de ces fraudes, des sociétés comme BePrem's se sont spécialisées dans les vérifications des dossiers locatifs. « On regarde la pièce d'identité, les bulletins de paye, on croise l'avis d'imposition avec les bases de l'État, on vérifie sur Infogreffe que l'employeur n'est pas une entreprise radiée », explique Hervé de Kermadec, son cofondateur.

Peur de l'impayé

En 2018, les litiges pour loyer impayé soumis à la justice concernaient 1,3 % des baux, soit 164 800 litiges sur un parc locatif de 12 millions de logements, selon les statistiques de la justice. Mais la peur de l'impayé continue de terroriser les propriétaires, la faute de procédures judiciaires longues et compliquées, selon Me Wilfried Schaeffer, avocat en droit immobilier : « Les locataires sont très protégés. On met dix-huit à vingt-quatre mois à expulser ceux qui ne paient pas. »

L'État a bien tenté de répondre au problème, mais ses tentatives ont à chaque fois plus ou moins échoué. Mesure phare de la loi Alur, adoptée en mars 2014, la garantie universelle de loyers (GUL) qui devait favoriser l'accès au logement a été sacrifiée, car trop coûteuse. Son ancêtre, la garantie des risques locatifs (GRL), a aussi été abandonnée en 2015 faute d'adhésion des assureurs.

En 2016, la garantie Visale a vu le jour en partenariat avec Action Logement. Elle couvre pendant trois ans les locataires de moins de 30 ans, quelles que soient leurs conditions de ressource, pour des loyers inférieurs à 1 500 euros en Île-de-France. « Les débuts ont été poussifs, mais on a de plus en plus de questions sur le dispositif, explique Laurent Lamielle, juriste pour PAP. fr. Les gens commencent à comprendre que la caution d'un proche est surtout psychologique. » Début 2019, Visale revendiquait 200 000 contrats signés, mais reste méconnue chez les bailleurs. La dernière fois que Mouna, 19 ans, étudiante à la Sorbonne, a visité un studio, le propriétaire a refusé son dossier… à cause de la garantie Visale.

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Commentaires (24)

  • serdav

    1, 3% des baux soumis pour loyer impayé est un chiffre totalement faux, pourquoi, si vous engagé un recourt en justice, vous ne pourrez relouer votre bien que lorsque le jugement sera rendu "minimum 2 ans" donc l'huissier vous conseil de ne pas engager la procédure, si votre locataire a disparue sans rien dire, vous laissant une belle ardoise et les lieux en pitoyable état ; en plus vous ne retrouverez jamais ce délinquant car il a changé sa carte d'identité montrée pour ouvrir le bail et comme vous ne pouvez demander sa carte de sécurité sociale, même la police ne pourra le retrouver.
    Malgré les 17 pages d'un contrat de location dans la loi ALURE, le propriétaire reste démuni devant un mauvais payeur ; en voulant protéger les locataires mal honnêtes on condamne les honnêtes à subir toutes les suspicions. Le législateur comme la justice ne protègent personne mais conduisent à toutes les dérives.

  • Laurade

    Et si vous laissez votre bien vide à Paris, pour attendre qu’un de vos enfants s’y installe, vous paierez un impôt pour logement vide.

  • ladoga

    Pourquoi continuez-vous à faire comme si nous étions en démocratie ? Justice action matter